Sources : "Le mythe de la loi
du Talion", de Raphael Drai.
" Justice and judaism ",
Maxwell Silver.
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Emmanuel BLOCH, 24.05.97
1. Introduction.
Comment definir la conception juive de la justice ?
On peut concevoir 2 manieres differentes de proceder.
La premiere revient a
dire : "Voila ! dans l'optique de la Torah, la justice
peut se definir ainsi : ...", en
ayant recours a desaffirmations et a des exemples, comme
- entre autres - le fameux jugement de Salomon
. Tout le monde connait cet episode ou 2 femmes se disputent
un enfant, chacune
pretendant qu'il s'agit la du sien, et Chlomo Hamelech,
le roi Salomon, ordonne de trancher cet enfant en deux pour le repartir
equitablement ; la veritable mere est celle qui est prete a renoncer a
l'enfant pour qu'il vive (Rois I, Ch. 3, v. 16-28).
C'est la un premier aspect du probleme, une premiere
vision, ce qu'on
pourrait appeler une definition positive de la justice.
Mais on peut aussi apporter une definition negative, c'est-a-dire preciser
ce qu'est la conception juive de la justice par opposition a d'autres conceptions.
Par opposition, par exemple, a la justice chretienne.
C'est ainsi que dans
l'Evangile selon Saint Matthieu, on trouve la phrase
suivante :
"Ne vous opposez pas au mauvais, mais si quelqu'un
te frappe sur la joue droite tend lui aussi l'autre."
Cette idee n'existe pas dans la Torah, qui proclame :
"Tu aimeras ton
prochain comme toi- meme." Le christianisme, ayant
repris ce principe "tu aimeras ton prochain comme toi- meme",
ne s'est apparemment pas rendu compte que par la-meme il se contredisait
: en effet, si je dis que mon prochain a droit au meme traitement que moi,
il ne faut pas oublier que je suis quant a moi le prochain... de mon prochain
!
Et si mon prochain a autant de droits que moi, le prochain
du prochain - moi - a autant de droits que lui !
En d'autres termes, ce que pose cette phrase : "tu
aimeras ton prochain
comme toi-meme",c'est une egalite absolue (comme
toi-meme, pas "moins" bien sur, mais pas "plus" non
plus !) Par contre, l'idee de tendre l'autre joue implique que, de par
son agression, l'autre a plus de droits que moi, puisque je n'ai pas la
possibilite de me defendre...
Cette difference est fondamentale, comme nous le verrons
plus tard.
Sinon, on peut encore opposer l'idee de justice juive
a d'autres visions,
par exemple a notre conception de la justice moderne.
Dans le droit de nombreux pays, aujourd'hui encore, la condamnation d'un
criminel est fondee sur l'aveu. En droit talmudique, il n'en va pas ainsi.
Dans le traite de Ketoubot, page 18b, on trouve
l'idee de "Eyn Adam Messim
Atsmo Racha", on ne fait pas de soi un coupable.
Concretement, la base de ce principe est qu'on n'accepterait
pas que la famille d'un criminel en puissance (ses parents, son conjoint,
etc) temoigne a son
propos : ces temoins sont trop subjectifs et manquent
donc de
credibilite...
Mais la personne soupconnee d'etre un criminel est encore
plus subjective,
puisqu'en l'espece elle parle d'elle-meme !
Le crime, si crime il y a, devra pour le Talmud etre
prouve par des temoins objectifs, exterieurs a l'affaire, mais les aveux
ne sont jamais pris en compte.
Et recemment encore, on a vu des personnes qui, apres
avoir passe un certain
nombre d'annees en prison, et alors qu'elles etaient
accusees de crimes graves
qu'elles avaient avoues, ont fini par etre relachees
lorsque l'on retrouva les vrais
coupables. Certaines methodes policieres semblent etre
tres efficaces pour faire "craquer" les gens, meme parfois les
innocents...
Ce sont donc ces 2 approches que je voudrais developper
maintenant : tout
d'abord expliquer ce qu'est la justice dans l'optique
de la Torah, sans m'attarder
sur son organisation pratique, mais en insistant sur
ce qu'elle represente et vers quels buts elle doit tendre ; puis mettre
ceci en relief en comparant avec d'autres conceptions notamment les theories
chretiennes, dont l'influence est considerable dans la societe qui nous
entoure meme si nous n'en avons pas toujours conscience.
2. Premiere partie
: definition positive.
A. Generalites.
Il est assez difficile de donner d'emblee une definition
de la facon dont la
Torah considere la justice, peut-etre parce que la Torah
est essentiellement un recueil de lois, et que les references a la justice
y sont donc tres nombreuses.
Toutefois, il est un passage qui tient une place centrale,
et ce a double
titre : premierement, parce qu'il traite vraiment du
coeur de notre sujet, et deuxiemement - et peut-etre plus litteralement
- parce qu'il est vraiment au centre du `Houmash : en effet, dans le livre
de Vayikra, le troisieme des 5 livres du Pentateuque, et plus precisement
dans la sidra de Kedoshim qui en est en quelque sorte le point culminant
et que nous avons lue il y a 2 semaines, on trouve les versets suivants
:
"Ne prevariquez point dans l'exercice de la justice
; ne montrez ni
menagement au faible, ni en faveur au puissant : juge
ton semblable avec impartialite. Ne va point colportant le mal parmi les
tiens, ne sois pas indifferent au danger de ton prochain : je suis l'Eternel.
Ne hais point ton frere en ton coeur.
Reprends ton prochain, et tu n'assumeras pas de peche
a cause de lui. Ne te
venge pas ni ne garde rancune aux enfants de ton peuple,
mais aime ton prochain comme toi-meme : je suis l'Eternel." (Levitique
Ch. 19, v. 15-18).
En fait, la sidra de Kedoshim presente les conditions
d'accession a la
saintete, presentee comme la dimension commune de D.ieu
et de l'homme.
Or ces conditions ne sont pas "mystiques",
mais correspondent a une certaine ethique dans la facon de se comporter
dans la societe. La consequence est claire : l'homme ne peut vivre en harmonie
avec D.ieu que s'il arrive a vivre en harmonie avec d'autres hommes ; d'ou
ces interdictions de la medisance, du ressentiment, etc.
Mais
que se passe-t-il si la bonne entente se trouve un jour brisee ? (en
cas de vol, de meurtre, etc...) A ce moment-la, precise
le texte, la derniere chose a faire est d'essayer de se faire justice soi-meme,
autrement dit de se venger. La vengeance en effet ne retablit pas le statut
de l'harmonie initiale, mais bien au contraire va constituer une dechirure
supplementaire du tissu social... car cette vengeance, peut-etre disproportionnee
ou alors inadaptee, entrainera elle-meme une replique de l'autre, et ainsi
de suite dans un combat destructeur sans fin possible.
Non, la seule possibilite est celle qu'indique le texte
: presenter le litige devant un juge, qui tranchera de maniere a retablir
l'equilibre et a eviter que les
passions ne s'exacerbent (Betsedek Tichpot Amitera :
juge ton prochain avec
impartialite).
Toutefois, un enseignement du Talmud (Yoma 23a) précise
ceci : Rabbi
Yo'hanan dit au nom de Rabbi Chimon ben Yeotsaddak :
"Un sage qui ne se venge pas
et qui ne garde pas rancoeur comme le ferait un serpent n'est pas un vrai
sage".
En apparence, la contradiction avec ce que nous venons
de voir est totale.
En apparence seulement ; d'apres nos sages, le debat
n'est pas tout a fait le meme ici que dans la sidra de Kedoshim : ce que
Rabbi Yo'hanan veut nous enseigner ici, c'est qu'un homme ne doit pas renoncer
a ses droits. Autrement dit, en cas de litige, on n'a pas seulement le
droit d'aller voir le juge ; on en a aussi le devoir.
Car, meme sans
chercher a se venger, un homme qui ne vienderait pas la plaie nourrirait
en son for interieur de la rancoeur, du ressentiment, et ceci doit etre
absolument évite.
Pour resumer, l'homme doit donc se plier a un certain
nombre de loissociales ; une personne qui subit un préjudice quelconque
a le choix entre 3 reactions possibles : soit se venger, soit ne rien faire et essayer
d'oublier, soit aller voir le juge ; les deux premieres sont rejetees,
l'une par la Loi ecrite, l'autre par la Loi orale, car seule la troisieme possibilite permet de retablir l'harmonie
entre les gens.
B. La justice dans l'histoire des
hommes, selon la Torah.
Toutefois, ce ne sont pas seulement les juifs qui sont
soumis a cette exigence de justice : d'apres
la Torah, cette
obligation a deja été imposée a Noé (c'est
une des 7 lois noachites), a la suite du déluge,
pour permettre la viabilite de cette humanite qui prenait un nouveau depart.
Avant le Deluge, les choses se passaient ainsi : une
action de l'homme entrainait une reaction, une sanction de la part de D.ieu.
On le voit quand Adam et Eve
mangent du fruit defendu (ils sont exiles du jardin d'Eden),
quand Cain tue son frere Abel, etc.
A partir du Deluge, tout ceci change radicalement, et
c'est tres clair dans ce que D. dit a Noe : "Chofer Dam Haadam, Baadam
Damo Yichafer", "Celui qui repand le sang de l'homme, par l'homme
son sang sera repandu" (Genese Ch. 9, v. 6).
Deux éléments sont a remarquer dans
cette expression : tout d'abord, une infraction
doit entrainer une punition proportionnee ; ensuite et surtout, ce n'est
plus a D.ieu de juger, mais Baadam, par l'homme, que justice se face.
Et lorsque exceptionnellement, par la suite, D.ieu interviendra
pour faire lui-meme justice, il respectera les régles de la justice
humaine. Quelles régles ? Dans la sidra de Choftim, on trouve cet
ordre "Tseddek Tseddek Tirdof", "la justice la justice tu rechercheras" (Deuteronome Ch. 16, v. 20).
Nos sages se sont posé la question
de savoir pourquoi la Torah, si avare de mots en général,
répete deux fois Tsedek. Que nous apporte cette redondance ?
Une des réponses proposees consiste en traduire
cette expression par "le juste de la justice tu rechercheras "
; autrement dit, il y a une facon juste d'arriver a la justice, ce qu'on
appelle les régles de procédure.
Le juge n'est jamais libre de trancher un litige comme
il l'entend ; il est lie par une facon de faire qui doit garantir que tous
les elements necessaires a la prise d'une decision soient pris en consideration.
Regardez comment se passe le proces, et le mot est bien
choisi, de Sodome et Gomorrhe : "l'Eternel dit : comme le cri de Sodome
et Gomorrhe est grand ; comme leur perversite est excessive, je veux y
descendre ; je veux voir si, comme la plainte en est venue jusqu'a moi
, ils se sont livres aux derniers exces ; si cela n'est pas, j'aviserai."
(Genese Ch. 18, v. 20 et 21). D.ieu avise ? ? ?
Comment cela, ne sait-il pas d'avance quel sera le resultat
? N'est-il donc pas omniscient ?
Si. Mais il faut qu'un certain nombre d'elements soient
reunis.
Premier élément : la plainte.
D.ieu ne peut pas juger les populations fautives avant
le moment ou les opprimes expriment leur souffrance.
Deuxieme élément : l'instruction du proces. D. envoie des emissaires (les anges a
qui Abraham offre l'hospitalite), qui serviront d'accusateurs, contre Sodome
et Gomorrhe.
Enfin, peut-etre le plus important de tous, le troisieme
element : qui prendra la defense des accuses ?
A ce moment s'avance Abraham, et il interpelle D.ieu:
"Celui qui juge toute la terre serait-il un juge inique ?" Ne
te faut-il donc pas ecouter ce que la defense a a dire ? Et de developper
ses arguments : que se passera-t-il si on trouve 50 justes dans la ville
? Ou 45, 40, 30, 20 ou meme 10 ??? C'est seulement alors, apres avoir suivi
les regles d'un prosée que D.ieu punira Sodome et Gomorrhe, en les
detruisant.
C. Specificites de la justice juive.
Ainsi, la justice est une necessite
pour l'humanite dans son ensemble.
Mais cela ne veut evidemment pas dire que la conception
de la justice soit la meme partout.
Dans la justice juive, il y a toujours 2 dimensions qui
interagissent et dont il faut tenir compte.
La premiere de ces dimensions est celle de la Midat Hadin,
de la justice stricte, et la deuxieme est celle de la Midat Hararamim,
de la justice fondee sur la compassion.
Commencons par le din : son importance est prouvee par
un grand nombre d'enseignements du Talmud, par exemple "Rabbi Chimon
ben Gamliel dit : sur 3 fondements subsiste l'univers, sur la justice (din),
sur la verite et sur la paix." ou encore : "Rabbi Chemouel ben
Ne'hamia dit [que] Rabbi Yo'hanan disait : tout juge qui fait un jugement
de verite (din emet) fait resider la Chekhina (la presence de D.ieu) sur
Israel, comme il est dit "D.ieu se tient dans l'assemblee divine (c'est-a-dire
la ou il y a justice)", et tout juge qui ne juge pas en verite provoque
le retrait de la Chekhina.", etc. On pourrait multiplier ces exemple
a l'envi.
Encore une fois, la justice est posée comme condition
prealable de subsistance de l'humanite et comme moyen de vivre en harmonie
avec D.ieu. Le din est rendu par un juge (dayan) qui siege dans un tribunal
(beth din).
Nos sages font d'ailleurs remarquer
que si le mot din est proche en hebreu du mot day (assez), c'est qu'il
est la forme de justice qui permet de poser des limites a certains comportements
qu'il faut prohibe.
Sa non-application est constitutive de ce qu'on appelle
de nos jours un deni de justice, car le din correspond au minimum auquel
on est en droit de s'attendre.
Lorsque le din est systematiquement inapplique, c'est-a-dire
lorsque le minimum n'est jamais atteint, alors s'applique le principe bien
connu "Mida Keneged Mida", mesure pour mesure.
Ainsi pour Pharaon, auquel D.ieu fait dire par l'intermediaire
de Moise : "Israel est mon premier-né".
Sous-entendu :
tu es en train de détruire mon premier-né : je détruirai
le tien.
Mais en regle generale le din n'est en lui-meme pas suffisant.
Tellement peu suffisant que dans Baba Metsia 30b Rabbi Yo'hanan affirme
: "Jerusalem a ete detruite parce que les jugements y etaient rendus
en droit strict et que les juges n'ont pas su aller au-dela du droit strict
(din Torah)."
Car le but supreme ne doit pas etre de punir, de reprimer
; mais de meme que D.ieu attend la techouva du pecheur jusqu'a sa derniere
heure, de meme la justice humaine doit-elle avoir pour objet de reinserer
le delinquant dans la societe, d'insuffler un dynamisme nouveau.
Et cela, c'est la Midat Hararamim, l'application du droit
fondee sur la compassion, qui le permet.
Il n'y a pas opposition entre Midat Hadin et Midat Hararamim,
mais bien complementarite.
Revenons un instant sur le jugement de Salomon pour illustrer
ceci.
Cet episode n'est pas seulement une belle histoire, comme
on pourrait le croire a premiere lecture. Dans le texte, il se situe juste
apres la demande de Salomon a D.ieu de lui accorder la sagesse, et montre
en quelque sorte aux yeux de tous la stature nouvelle du souverain.
Devant le roi se trouvent 2 femmes qui ont des pretentions
contradictoires, mais de meme force, sur un enfant. Que faut-il faire ?
Impossible de ne pas juger du tout.
Le din exige que le litige soit tranche, et c'est ce
que va faire Salomon : il ordonne... de trancher ! A ce stade, on sent
bien qu'il y a un probleme, car l'application du droit arrive a un non-sens
!
Comment réagit la vraie mere ? Elle interpelle
le roi : "De grace, mon seigneur, donnez-lui l'enfant". Par ces
mots (de grace), la mere place le debat sur un autre plan que celui du
din, sur celui de la Midat Hararamim, et c'est seulement ainsi que le probleme
pourra etre finalement resolu.
Ceci est un exemple de la facon dont Midat Hadin et Midat
Hararamim s'articulent. Il s'agit toutefois d'un cas limite, ou Chlomo
Hameler joue deliberement sur la charge emotive du proces.
Car il ne faut pas perdre de vue cet aspect du probléme
qui est que le roi n'aurait pas le pouvoir de mettre un enfant innoncent
a mort : ce serait la un assassinat pur et simple.
Dans des cas plus simples, une facon de proceder en particulier
permet d'utiliser a la fois Midat Hadin et Midat Hararamim: il s'agit de
la pchara, c'est-a-dire du compromis.
Le Rambam notamment felicite tout tribunal qui essaie
systematiquement de resorber un conflit avant meme qu'il n'y ait proces,
en discutant avec les gens.
Avant de passer a la seconde partie, il nous faut voir
encore sur quels criteres on choisissait les gens qui exercaient des fonctions
publiques, comme les juges par exemple : un "Hiram etait le fils passage
du premier livre des Rois est a cet egard particulierement interessant
: d'une veuve de la tribu de Naphtali, son pere etait un Tyrien travaillant
le cuivre ; et il etait empli de la sagesse ('Horma), de l'intelligence
(tvouna) et de la connaissance (daat) en vue d'accomplir tout son travail
dans le cuivre." presente par les Proverbes comme "le D.ieu [qui]
par la sagesse - 'horma - fonda la Terre,
Ces trois caracteristiques sont presentees comme par
le texte primordiales pour celui qui supervise les travaux du Temple. Mais
on retrouve les memes chez le Createur du Monde etablit les cieux par l'intelligence
- tvouna- et par son savoir - daat - cliva les abimes et les cieux et fit
sourdre la rosee".
De meme, dans le Michne Torah, Maimonide precise que
"on n'institue dans les Sanhedrin, qu'ils soient grands (71) ou petits
(23), que des gens sages (raramim) et intelligents (nevonim), gens de multiple
sagesse (dea merouba)."
Il ajoute aussi qu'on ne prend pas comme juge une personne
qui n'a pas d'enfant, de peur que cette personne n'ait pas assez recours
a la compassion.
En résume, les juges se devaient d'etre des gens
d'une stature spirituelle particulierement elevee.
Ceci d'autant plus qu'ils n'etaient pas payes pour leurs
fonctions, mais recevaient un simple dedommagement correspondant aux pertes
qu'ils faisaient alors qu'ils jugeaient et ne pouvaient donc pas travailler.
Le Roi Salomon aussi etait presente comme ayant un coeur sage et intelligent
(Haram et Navon) ; la troisieme exigence, le savoir, est legerement plus
problematique ; elle est presentee par le texte comme quelque chose pour
lequel Salomon devait lutter en permanence s'il voulait garder sa royaute.
Autrement dit, sur les 3 conditions necessaires pour etre un bon juge,
D.ieu en avait accorde 2 a Salomon, mais il devait sans arret rechercher
la troisieme sous peine de perdre son trone.
3. Deuxieme partie : definition negative (theories
chretiennes).
Maintenant que nous avons vu comment on pouvait definir
la justice dans l'optique de la Torah, il nous faut approfondir les differences
qui existent entre cette conception et d'autres, notamment la conception
chretienne.
Le christianisme a en effet essaye pendant des siecles
d'opposer au soi-disant D.ieu Vengeur de l'Ancien Testament le D.ieu d'amour
du Nouveau Testament, ou bien a la Loi, la Foi.
Qu'en est-il en realite ?
Pour reprendre le vocabulaire precedemment utilise, il
y a donc la Midat Hadin (justice stricte) et la Midat Hararamim (justice
fondee sur la compassion).
Nous avons vu que la non-application de ces deux concepts
aboutit au deni de justice, que le din seul est un minimum insuffisant
et que le judaisme cherche a completer la Midat Hadin par la Midat Hararamim.
Ceci laisse de cote une possibilite, comme vous l'avez sans doute deja
remarque : qu'en est-il de l'application exclusive de la Midat Hararamim
?
En fait, c'est precisement ce que le christianisme preconise
! Les termes utilises pour le dire sont sans doute differents, et c'est
ce qui explique peut-etre dans une certaine mesure le manque de comprehension
que les deux religions se sont manifeste au cours des siecles dans ce domaine.
Le judaisme parle de Midat Hadin et de Midat Hararamim
; le christianisme se definit lui-meme et a l'exclusion de ses predecesseurs
comme une religion d'amour.
La question est en fait de savoir quel sera, de la justice
ou de l'amour, le principe fondamental de la societe. Cela ne veut bien
sur de loin pas dire que l'amour du prochain n'est pas important dans le
judaisme, ni que le christianisme n'a aucun egard pour la justice.
Mais chaque religion batit son systeme de valeurs
sur une base differente.
Ceci aura des consequences pratiques tres importantes
sur la vision du monde de chaque religion ; un exemple suffira : la charite
est, pour les chretiens, un acte de misericorde, un elan du coeur qui amene
le croyant, emu de voir tant de souffrances en ce bas-monde, a sacrifier
une partie de sa richesse materielle a plus pauvre que lui ; pour le juif,
la tsedaka est un acte de justice sociale, une obligation permanente et
quasi-illimitee. Et le juif, qui part du principe qu'il est plus difficile
pour le pauvre de recevoir que pour le riche de donner, sera donc prie
de ne pas donner au vu et au su de tous,pas donner au vu et au su de tous,
mais de préférence a une société de bienfaisance,
qui fera ecran entre le donneur et le receveur de maniere a empecher le
premier de s'enorgueillir et le deuxieme d'avoir honte.
Il nous faut chercher a comprendre pourquoi nos sages
n'ont pas vu dans la compassion une forme de justice suffisante en soi,
mais plutot un complement necessaire au din, a la justice stricte.
C'est que la compassion utilisee seule, comme le veulent
les chretiens, a un certain nombre de desavantages.
Premierement, ce qu'on pourrait appeler
son esprit de clan : l'amour du prochain ne peut s'etendre, par definition,
qu'a celui que je considere comme mon prochain.
Cette notion peut etre plus ou moins large (un Romain
ne se serait jamais considere comme l'egal d'un non- Romain, d'un barbare
donc), alors que la justice est pour sa part toujours universelle.
Deuxieme desavantage, la partialite : l'amour du prochain est lie aux
interets d'une personne bien determinee, concrete, a l'exclusion de toute
autre, alors que la justice correspond a une idée abstraite de la
sociéte dans son ensemble. Par exemple, prenons le cas d'un juge
appéler a éxaminer ce qu'a fait un membre de sa famille :
s'il agit par compassion, il l'acquittera sans doute,
peut-etre a tort ; par contre, s'il agit de facon juste, il devra se recuser
et laisser quelqu'un de plus objectif que lui trancher.
Troisieme defaut : la compassion
est de nature essentiellement emotionnelle, tandis que la justice est un
processus rationnalise et offrant donc plus de garanties.
Quatrieme et dernier defaut :
l'absence de toute force contraignante.
Il arrive frequemment que les interets d'un individu
doivent etre subordonnes aux interets de la collectivite, et ceci a que
par la justice que ceci peut etre realise.
Au contraire de ce que pretend le christianisme, l'amour
du prochain ne peut pas etre le principe fondamental de la societe.
Tout comme les parents doivent punir
leurs enfants pour leur bien, a moins de vouloir les handicaper dans leur
vie, de la meme facon la sociéte se doit de réprimer les
abus, et ceci passé tout d'abord par l'application du din, de la
justice stricte, prolonge seulement par la Midat Hararamim.
Comme le releve le dicton : "qui aime bien chatie
bien", et ceci est montre tres clairement que la justice doit passer
en tout premier plan, pour permettre l'existence meme de l'amour, car -
a contrario- celui qui chatie mal ne peut pas bien aimer.
La doctrine chretienne est non seulement erronee, mais
encore dangereuse sur un plan historique : car si en 1789 en France le
Tiers-Etat s'etait contente de "tendre l'autre joue", au lieu
de revendiquer ses droits a l'egalite en faisant la Revolution, et de meme
dans les autres pays du monde, c'est toute notre conception moderne de
la societe qui aurait ete differente, et sans doute pas dans le bon sens.
Ainsi, la meilleure solution est celle preconisee par
la Torah, de faire de la Midat Hadin la base meme de toute vie en societe,
seulement mais necessairement completee par la Midat
Hararamim. Et ce faisant, l'homme suivra la voie de son
Createur, qui comme nous l'apprend un Midrash s'interrogeait deja lors
de la creation du monde : "Est-ce que je l'etablirai (le monde) sur
le principe de la compassion ? Mais ceci ferait augmenter le peche dans
le monde.
Sur le principe de la justice ? Mais alors, comment le
monde pourrait-il subsister ? Je l'etablirai sur le principe de la justice
et sur le principe de la compassion, Bemidat Hadin ouvemidat Hararamim."
4. Conclusion.
Pour conclure cet expose, je voudrais revenir sur la
grandeur de ces hommes qu'Israel appelle ses juges (Choftim ou Dayanim),
sur leur quete sans fin d'un absolu qu'est pour eux la justice, comme dans
le cas de Chimon ben Chata'h, dont la vie, telle qu'elle est rapportee
par le Talmud, a ete dominee par la volonte de placer la justice au-dessus
de tout, ne se laissant flechir ni par la puissance royale, ni par l'amitie,
ni par le respect envers un chef, ni par sa bonte envers ses subordonnes,
ni par la crainte de malfaiteurs ou l'offre de fortunes colossales, ni
meme par l'amour de son propre fils..
Il a été clairement
demontre que la Torah n'a rien a envier a notre societe moderne, mais au
contraire beaucoup a lui apprendre en matiere de justice. Et c'est de tout
coeur que nous pouvons demander a D.ieu dans le Chemone-Esreh "Hachiva
Choftenou kevarichona", de retablir nos juges comme autrefois, de
nous donner la possibilite de respecter Sa loi dans son ensemble, et de
se hater de faire venir Son juste Machia'h, Bimeyra Beyameynou (bientot
et de nos jours).